Le patriarche du conservatisme demeure pertinent

16 mai 2018
Bart De Wever

« C’est pourquoi l’Union européenne ne deviendra jamais une nation européenne. Car elle est la combinaison de nombreuses nations différentes, avec différentes cultures et traditions politiques. “Plus d’Europe” ne résoudra pas tout », affirme le président de parti Bart De Wever dans une tribune.

J’ai reçu hier à la Tate de Londres l’Edmund Burke Award, un prix récompensant les conservateurs méritants. Je ne me préoccupe généralement pas tant de ce genre de récompenses, mais je ne pouvais pas passer à côté d’un prix portant le nom de l’homme politique qui m’a peut-être le plus influencé. Mais quinze ans après mon essai sur le « patriarche du conservatisme », mes premiers pas sur la scène politique, la question se pose : Bruke est-il toujours pertinent ?

Nous vivons dans une sorte d’ère post-idéologique. Le libéralisme lutte avec lui-même et le socialisme se mue en quelque chose de méconnaissable. L’un est obsédé par l’ouverture des frontières et la citoyenneté mondiale, l’autre par les privilèges de groupe et la haine de soi. La culture européenne semble épuisée. Le matériel est toujours présent - on trouve de grands bâtiments, des œuvres d’art et des institutions comme des universités dans chaque grande ville européenne -, mais c'est le logiciel qui fait défaut. Notre culture fait face à des bouleversements métaphysiques. Le système d’exploitation plante et Burke peut nous aider à le réinitialiser.

L’idée fondamentale de Burke est que la sagesse ne peut pas se trouver dans une seule tête, une seule classe ou un seul système, ni dans les théories de toute une génération. Il n’y a de sagesse que dans la société dans son ensemble : « The individual is foolish, the multitude is foolish; but the species is wise. » Et cette sagesse s'incarne dans les institutions, les traditions et les rapports sociaux prépolitiques spontanés. La raison abstraite ne peut remplacer cette sagesse, mais elle peut participer à son déclin.

Tel est le cœur de la critique de Burke envers la Révolution française. Il n’était pas un opposant des Lumières en soi. Burke souhaitait l’autonomie des colonies américaines, dénonçait l’abus de pouvoir britannique en Inde et voulait davantage de pouvoir pour le Parlement au détriment de la Couronne. Jeune homme, il a même reçu les éloges d’Emmanuel Kant et David Hume pour son ouvrage « Recherches philosophiques sur l'origine de nos idées du sublime et du beau ». On est loin du palmarès d’un Réactionnaire Une attitude réactionnaire est également qualifiée d’extrêmement conservatrice. Contrairement aux conservateurs modérés, les réactionnaires ne veulent pas le maintien du statu quo mais plaident en faveur d’un retour au passé. Ils veulent mettre un terme à certains changements sociaux que des non réactionnaires considèrent comme positifs. De nos jours, le terme a dès lors une connotation négative. réactionnaire .

Révolution française

Il s’est certes opposé à la démesure de la Révolution française. La facilité avec laquelle les révolutionnaires pensaient pouvoir réformer l’ensemble de la société allait selon Burke conduire à l’anarchie et en fin de compte à la violence et à un coup d’État militaire. Des mots devenus prophétiques lorsque la Révolution a débouché sur la Terreur de Robespierre et la dictature de Napoléon.

Toutes les prévisions de Burke ne se sont cependant pas réalisées. De nombreuses traditions et institutions sont restées solides et se sont adaptées à la société moderne et urbanisée. Enfant de son époque, Burke ne pouvait pas comprendre la démocratie. Il a fallu attendre Alexis de Tocqueville pour que naisse une vision Communautaire Qualifie tout ce qui a trait aux rapports entres les régions et les communautés. Ces rapports sont réglés par une législation linguistique détaillée datant de 1966 et les six réformes de l’État, de 1970 à ce jour. Il n’est toutefois pas uniquement question de conflits de nature culturelle et linguistique mais également de visions diamétralement opposées concernant la politique socio-économique, la migration, la justice, etc. Un déficit démocratique s’est créé avec deux opinions publiques scindées. communautaire à ce sujet.

Le célèbre « tissu précieux » de Burke reposait en grande partie sur la noblesse et l’église, sur le « spirit of a gentleman » et le « spirit of religion ». Tout cela nous paraît dépassé. Le christianisme fait partie de notre héritage culturel, mais son dieu n’a plus de pouvoir politique. Rares sont les chrétiens européens dont la religion détermine les actes ou qui considèrent que Dieu est supérieur à la loi. Et s’il y en a, ce sont les derniers d’une époque révolue, pas les premiers d’une époque à venir.

Le « spirit of a gentleman » et le « spirit of religion » ont été remplacés par le « spirit of Enlightenment ». En tant que conservateurs, nous devons nous demander comme y faire face. Comment pouvons-nous façonner la société sur cette base ? Comment pouvons-nous créer un sentiment de responsabilité partagée ? Qui fait partie de notre res publica et où se situe la limite ? Et comment traduire tout cela en principes directeurs ?

Le Conservatisme Dans son acception générale, le conservatisme est un attachement aux traditions et au maintien de ce qui existe. Le changement est possible si nécessaire mais il doit être lent et progressif. Dans sa signification politique plus spécifique, il est question d’une attitude critique à l’égard de l’idée que l’homme et la société sont parfaitement malléables comme le prônent des idéologies telles que le libéralisme et le socialisme. La N-VA assimile également le conservatisme à la pensée communautaire : le plus important n’est pas l’individu ou l’État mais la communauté. conservatisme doit son succès à l’absorption des principes des Lumières. Nous avons confronté les rêves progressistes et superficiels de la citoyenneté mondiale à la sagesse de Roger Scruton : « L’idée nationale n’est pas l’ennemie des Lumières, mais sa condition nécessaire. »

L’autre reconnaissable

Les États-nations européens sont enracinés dans une histoire, une culture et des lois qui ont lié un certain territoire à un peuple. Et cela suppose l’existence de frontières. Nous ne sommes pas solidaires avec tous les « autres », mais avec l’« autre reconnaissable ». Les citoyens ne s’identifient pas à de vagues notions comme l’« humanité » ou le contrat social. Ce n’est qu’à travers une culture publique commune et de solides principes de base que l'on se sent lié à une communauté, avec l’idée d’un passé commun et, plus important encore, d'un avenir commun.

C’est pourquoi l’Union européenne ne deviendra jamais une nation européenne. Car elle est la combinaison de nombreuses nations différentes, avec différentes cultures et traditions politiques. « Plus d’Europe » n'est pas la solution à tout ; une politique universelle ne peut pas fonctionner pour d’innombrables peuples.

C'est pourquoi l’idée d’impôts européens est totalement insensée. Les citoyens paient des impôts à leurs autorités pour leur permettre de construire des routes et des ponts, et ces autorités sont responsables vis-à-vis des citoyens, qui partagent des liens historiques de loyauté et de solidarité. Ils ne veulent pas payer d’impôts à des bureaucrates anonymes qui les utilisent pour rembourser les dettes d’un pays du Sud de l’Europe.

Brexit

Pour Burke, les nations sont composées d’individus faisant leurs propres choix de vie. Des citoyens qui s’organisent en familles, communautés, petites entreprises et associations spontanées. Ou comme le disait Burke : les « little platoons we belong to in society ». Nous partageons cette conception avec les conservateurs britanniques au Parlement européen. Le Brexit signifie pour moi la perte d'un allié contre le super-État européen menaçant.

Mais même si je ne m’en réjouis pas, je respecte le choix souverain d’un peuple fier et courageux. Mais celui qui se réjouirait du Brexit comme le départ d'un obstacle à une UE fédérale risque d’être déçu. Sur le continent également, les voix critiques continuent de s’élever pour défendre les droits des nations contre le centralisme européen jacobin. Nous allons reprendre le flambeau, et de quelle manière.

Burke méprisait la Révolution française en raison de son obsession des abstractions, de son aversion pour l’expérience pratique et de ses prétentions universalistes qui réduisaient l’individu à un sujet administratif. Si Burke avait vécu aujourd’hui, il serait horrifié de voir cette nouvelle élite de bureaucrates tentant de prendre le contrôle de nos vies.

Et c'est pourquoi il est encore pertinent de nos jours : comme guide et avertissement. L’UE n’est qu’un traité. L’Europe n’est pas née après la Seconde Guerre mondiale, elle a une longue et riche histoire. Des centaines d’années de sagesse accumulée, de triomphes et de défaites, d’actes brillants et d’immenses atrocités. Nous devons être à la fois fiers et humbles.

Si nous cédons à l’illusion selon laquelle la complexité de l’Europe n’a aucune importance, nous commettrons la même erreur que les révolutionnaires français. Nous laisserons alors un projet politique légitime être corrompu par notre vaine mégalomanie. Et un jour, lorsque les citoyens ordinaires en auront assez et que la pression des réglementations abstraites venues de Bruxelles sera trop forte, il s’écroulera.

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