Les algorithmes censureront de manière impitoyable

12 janvier 2021

« Si nous laissons faire les algorithmes, la liberté d’expression disparaîtra. L’Europe et le gouvernement fédéral doivent défendre les libertés de notre démocratie libérale », affirme l’eurodéputé Geert Bourgeois dans une tribune.

Il y a peu, j’avais mis en garde contre la limitation de la liberté d’expression telle que prévue par la Commission européenne. Pour les raisons que l’on sait tous (lisez : Donald Trump), le débat sur (les limites de) la liberté d’expression en ligne bat actuellement son plein. À juste titre. La liberté d’expression est un droit fondamental et les restrictions doivent toujours être limitées. La censure n’a certainement pas sa place dans l’état de droit européen. En tant que membre du pouvoir de contrôle, le Parlement européen, je me dois donc de réagir quand une proposition de législation européenne risque de se muer en censure.

Le président Trump n’est pas le seul à subir la toute-puissance des plates-formes numériques. Chez nous aussi, les conséquences apparaissent au grand jour. Cette semaine, par exemple, un simple article critique de Doorbraak a été supprimé de Facebook et un rappeur campinois ayant parodié QAnon a reçu un « dernier avertissement » de la part de Facebook avant de voir sa vidéo supprimée. Les choses sont claires : la liberté d’expression (en particulier l’humour et la satire) ne survivra pas au règne des algorithmes. Une simple pression sur un bouton suffira malheureusement pour censurer les opinions.

Système de dénonciation

Fin 2020, la Commission européenne a présenté une proposition de législation sur les services numériques qui relègue la liberté d’expression au second plan, à quelques déclarations théoriques près. Cette législation définit notamment la responsabilité des plates-formes par rapport aux contenus publiés par les utilisateurs. Une plate-forme n’est en principe pas responsable, à moins qu’elle n’ait connaissance de l’activité illégale.

Le problème est que la législation prévoit un vaste « système de dénonciation » permettant à chacun de signaler une prétendue publication illégale. On imagine aisément l’avalanche de signalements, pas toujours justifiés... Et avec le mécanisme de « signalement, connaissance, responsabilité », les plates‑formes ne vont pas faire dans la dentelle face aux propos « controversés ». Le spectre de la censure plane de nouveau sur l’Union européenne. En outre, les remèdes n’apparaîtront qu’une fois le mal fait, si tant est que l’utilisateur ait le courage d’agir.

Je tiens à mettre en garde contre la toute-puissance d’acteurs privés (américains). Comment vont-ils juger une tribune sur le carnaval d’Alost ou le Père Fouettard, par exemple ? Facebook va-t-il bloquer un plaidoyer pour le mariage d’un couple LGBTQIA+ car c’est illégal dans certains États membres ? Sera-t-il encore possible de critiquer un chef d’État ? Et qu’en sera-t-il des plaidoyers pour l’indépendance d’une entité fédérée de l’Union européenne ? Les algorithmes censureront de manière impitoyable, soyez-en sûrs.

Service universel

Nous devons obliger les grandes plates-formes numériques à accepter tout le monde. Chacun doit avoir le droit d’y publier et d’y recevoir des informations. La fonction sociale de ces plates-formes est telle que l’UE doit leur imposer une Obligation Une obligation est un prêt accordé à une entreprise ou à une autorité qui est remboursé avec un intérêt. Contrairement aux actions, la plupart des obligations ont une durée et un intérêt fixes. Cet intérêt est généralement payé annuellement. De ce fait, les obligations impliquent en règle générale un risque moindre que les actions. obligation de service universel.

Les plates-formes numériques sont en effet les boîtes aux lettres du XXIe siècle. La poste a depuis longtemps une obligation de service universel. La même logique doit s’appliquer aux Facebook et Twitter de ce monde et figurer dans leurs conditions générales. On ne peut accepter la suppression, la suspension et le blocage au bon vouloir des plates-formes.

Limitations

La liberté d’expression n’est pas absolue et tolère des exceptions proportionnées. Si l’on ne peut envoyer de colis piégés par la poste, on ne peut pas non plus publier d’appels à envahir le Capitole sur les réseaux sociaux.

La législation européenne sur les services numériques devrait selon moi reprendre de manière exhaustive les infractions les plus manifestes contres lesquelles une plate-forme numérique peut intervenir. Je pense aux contenus pénalement répréhensibles, comme le trafic d’êtres humains, le terrorisme, l’exploitation sexuelle des enfants, le trafic d’organes et le trafic d’armes. Les grandes plates-formes numériques doivent définir une politique interne cohérente qui soit capable de faire la distinction entre l’incitation et la dénonciation d’un délit. Dans un État de droit, c’est au juge d’intervenir contre les supposées activités illégales.

Qu’attendent les commissaires européens et le gouvernement fédéral pour défendre les libertés de notre démocratie libérale ?

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