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Entretien avec Anneleen Van Bossuyt dans L'Echo

Source : l'Echo.
Au sein d'un gouvernement qui met la barre à droite, la ministre de l'Asile et de la Migration Anneleen Van Bossuyt (N-VA) déroule son programme et annonce l'instauration prochaine d'un revenu d'
Intégration
La Flandre mène une politique d’intégration. Il s’agit d’une forme accompagnée, ciblée et dirigée d’intégration sociale de personnes d’origine étrangère dont l’objectif consiste à donner aux nouveaux-venus une place à part entière dans la communauté grâce à l’inclusion et non l’exclusion. L’intégration par entre autres des cours de langues et d’intégration a été concrétisée grâce à la participation de la N-VA au Gouvernement flamand depuis 2004 et à la désignation d’un ministre de l’Intégration.
intégration
lié aux eff orts d'intégration des réfugiés.
Pas facile de prendre en main l'Asile et la Migration, un ministère dont le budget est voué à être rogné à l'os, jusqu'à économiser 1,6 milliard d'euros à l'horizon 2029. Mais la N-VA connaît tous les atouts de ce maroquin, Theo Francken le premier, qui a bâti sa carrière et sa réputation nationale grâce à ses quatre années à la tête de la politique migratoire belge, entre 2014 et 2018. Avec Anneleen Van Bossuyt, le parti nationaliste flamand a remis la main sur ce qu'il considère comme un ministère clé.
"Il faut prendre une autre direction"
Si le style est bien diff érent, moins spectaculaire et fracassant que celui du jeune Francken, il est tout aussi effi cace. L'Echo a rencontré la ministre de 45 ans, qui a pu faire passer, en six mois de présence, toute une série de textes qui pourraient bien changer radicalement la politique de l'accueil et de l'asile en Belgique. On pense notamment à la forte augmentation des revenus requis pour accepter un regroupement familial, ou encore la fermeture de l'accueil en Belgique pour ceux - ils sont des milliers chaque année - qui ont déjà reçu une protection dans un autre pays européen.
Alors, Anneleen Van Bossuyt se sent-elle proche de Donald Trump, qui, cette semaine, devant l'ONU, a prédit aux dirigeants européens un "enfer" s'ils ne devaient pas faire reculer cette "immigration (qui) détruit vos pays"? "L'oiseau chante comme le lui permet son bec, comme le dit le dicton", répond la ministre. "Chacun utilise les mots comme il le veut. Mais s’il s’agit de dire que l’Europe a un problèm eavec la migration, je ne peux qu’être d’accord. On vient de 'fêter' les dix ans du 'Wir schaff en das' d'Angela Merkel. Mais aujourd’hui c’est clair: wir schaff en das nicht. La migration incontrôlée, illégale, pèse sur nos sociétés, la Sécurité sociale En Belgique, la sécurité sociale relève jusqu’à aujourd’hui du fédéral. Les principaux piliers de la sécurité sociale belge sont l’assurance maladie-invalidité (INAMI), les pensions, l’assurance-chômage et les allocations familiales, sans oublier les maladies professionnelles, les accidents du travail et les vacances annuelles. Certains partis flamands prônent depuis longtemps le transfert de (grands pans de) la sécurité sociale aux régions et communautés. Sécurité sociale , l’enseignement, le logement, la sécurité. Dire le contraire, c’est nier la réalité. Il faut prendre une autre direction. Je sens au sein du gouvernement que les esprits sont prêts pour prendre une autre direction", pose Anneleen Van Bossuyt.
Le discours est calibré, mais ne mentionne pas une autre réalité: la richesse de la Belgique s'est construite en belle partie par l'immigration. Et selon un rapport récent de Myria, l'immigration économique est en recul en Belgique. Cela alors que les entreprises manquent de main-d'oeuvre, surtout en Flandre, la région qui connaît la plus grande pénurie d'emploi sur le continent. "Nous pensons qu’il faut procéder par cercles concentriques: si on a besoin de main-d’oeuvre, on doit d’abord chercher dans notre propre région, ensuite dans les régions voisines et puis en Europe et puis enfi n dans les pays tiers. Il y a encore beaucoup de gens en Belgique que l’on peut mettre au travail. Seule la moitié des migrants qui viennent de pays tiers travaillent. Il est très important de les activer."
C'est notamment l'une des raisons qui pousse la ministre à proposer, sous peu, une réforme du revenu d'intégration (RI, aide sociale fi nancière accordée par les CPAS). Elle avait été annoncée, en quelques lignes dans l'accord de gouvernement. Elle sera bientôt mise sur la table du gouvernement fédéral, alors que les entités fédérées ont déjà été approchées pour sa mise en oeuvre. "J’en ai parlé avec le ministre-président wallon Adrien Dolimont et la ministre flamande de l'Intégration, Hilde Crevits, et ils sont tous les deux enthousiastes pour qu’un projet concret soit mis sur la table avant la fi n de l’année." En revanche, personne à la Région bruxelloise n'a encore été approché, mais ce devrait être le cas sous peu.
Plus concrètement, alors? "On va lier le taux du revenu d’intégration à l’intégration elle-même. Pour les réfugiés reconnus, cela signifie qu’ils en bénéfi cient à 100%, mais que s’ils ne s’intègrent pas suffi samment – en ne parlant pas une langue du pays, en ne travaillant pas…– le RI va diminuer. Pour les personnes sous statut de protection subsidiaire et temporaire, les Ukrainiens par exemple, le RI ne démarrera pas à 100% du montant mais des bonus d’intégration pourront être obtenus. On veut vraiment que les gens s’intègrent et participent."
"Le Fédéral a posé le cadre, mais l’évaluation est du ressort des Régions"
Pour obtenir ces bonus, il faudra bien réaliser des contrôles et des formations. Qui, alors, pourrait s'en charger, et avec quel budget? "On est en train d’en discuter. Le cadre fédéral va poser les conduits, les tuyaux, et les entités fédérées devront venir s’y connecter à leur manière. Un peu comme on a fait pour les compensations prévues pour les CPAS pour le chômage: le Fédéral va compenser à 100% pour la première vague. Ensuite, une incitation pour activer les gens est prévue, avec une majoration du RI en fonction des plans d’insertion mis en oeuvre ou du travail décroché."
Mieux contrôler l'intégration des migrants est l'un des pans de la politique gouvernementale, l'autre est de diminuer le fl ux d'entrée ainsi que les délais de traitement de l'accueil, aujourd'hui à 18 mois. C'est d'ailleurs tout l'objectif des mesures entrées en vigueur ces derniers mois.
Pourtant, le nombre de places d'accueil disponibles - environ 36.000 - reste à son niveau le plus élevé jamais connu en Belgique. Quant au nombre de personnes sur la liste d'attente, il a diminué de 4.000 à 1.900 en un an. Pas ce que l'on peut appeler un reflux majeur. "On ne peut pas dire que ça n’a pas changé. Les personnes qui demandent l'asile ne dorment pas dans la rue. Fedasil paie Bruxelles pour 2.000 places. La liste d’attente n’existe donc plus, en fait. Quant aux mesures de crise que l’on a prises, elles ne sont entrées en vigueur qu'en août. Cela fait seulement un mois, donc c’est très tôt pour en voir les eff ets. Pour savoir si on assiste à une vraie rupture, selon moi, il faut attendre le mois d’octobre, qui est historiquement celui pendant lequel le plus de demandeurs d’asile arrivent."
"Si ces personnes dorment dans la rue, c'est leur propre choix"
Dire que "les personnes qui demandent l'asile ne dorment pas dans la rue" étonne, alors que le Samusocial a annoncé que, depuis le mois d'août, il a dû refuser l'accueil à près de 400 familles, suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l'asile. "Il n’y a pas de demandeurs d’asile qui doivent dormir en rue, car il y a suffi samment de places d’accueil. Les sans-abri que l’on voit à Bruxelles sont, par exemple, des gens qui ont reçu une Obligation Une obligation est un prêt accordé à une entreprise ou à une autorité qui est remboursé avec un intérêt. Contrairement aux actions, la plupart des obligations ont une durée et un intérêt fixes. Cet intérêt est généralement payé annuellement. De ce fait, les obligations impliquent en règle générale un risque moindre que les actions. obligation de quitter le territoire et ne le font pas, ou des personnes qui ont des problèmes d’assuétude. Et ils ne sont pas des milliers dont l’accueil a été refusé en raison d’une protection déjà accordée dans un autre pays, mais 184, dont 143 se sont vu refuser l'accueil en Belgique. Si ces personnes dorment dans la rue, c’est leur propre choix. Les personnes qui ne bénéfi cient plus d'un accueil peuvent retourner volontairement dans leur pays d'origine ou dans l'État membre européen qui a procédé à leur premier enregistrement. Dans ce cas, elles sont accueillies et accompagnées dans un parcours qui leur offre une perspective durable."
La ministre relance: "À ces organisations qui crient si fort, j'ai envie de demander ceci: quelle est l'alternative? Faire comme lors de la législature précédente et dire 'vous êtes tous les bienvenus, on verra après ce que ça donne'?"
Des propos qui démontrent une fois de plus les relations compliquées entre le monde associatif et judiciaire d'une part, et le Fédéral d'autre part, en matière d'asile et de migration. Et la polémique de la semaine sur le retrait des subsides fédéraux sur le plan Grand Froid n'y fait pas exception: "L’accueil hivernal est important, mais ne relève pas de la compétence fédérale", tranche-t-elle.
Ce grand schisme entre monde associatif et politique, qui suit une ligne gauche-droite très claire, existe depuis plus de dix ans maintenant. Il s'est aggravé depuis que l'État a été condamné des milliers de fois, pour le non-accueil de demandeurs d'asile, à des astreintes qu'il refuse de payer. "J’ai hérité d’une situation que je n’ai pas choisie, je ne suis pas prête à payer les astreintes. Pour moi, il est plus important que cet argent soit utilisé pour résoudre le problème d’une façon structurelle", pointe Anneleen Van Bossuyt.
N'est-ce donc pas un coup de canif à l'État de droit, à la cohésion sociale et à la séparation des pouvoirs ? Quand un citoyen est condamné à une amende, il devrait la payer, mais pas l'État? "Je ne suis pas d’accord avec ce raisonnement", rétorque la ministre. "Pour moi, c’est la situation actuelle qui diminue la croyance en l’État de droit. Il y a eu le cas de cet homme qui a battu sa femme, presque à mort, devant ses deux enfants mineurs. On a voulu lui retirer son droit de séjour, mais on n’a pas pu le faire rentrer vers son pays d’origine par respect de son droit familial, établi par la Convention européenne des droits de l’homme. Comment puis-je expliquer cela à nos concitoyens? C’est un problème et je suis contente que le Premier ministre ait souscrit à la lettre envoyée au niveau européen visant à mettre en balance la protection de l’individu avec celle de l’intérêt général. Je suis juriste, mon père est magistrat, je crois dans le droit. Mais le droit doit servir la société et évoluer avec la réalité de celle-ci. Et le monde a changé."
"Si la réforme du chômage coûte plus que prévu aux CPAS, on paiera la différence"
Anneleen Van Bossuyt, en tant que ministre de l'Intégration sociale, doit faire atterrir le transfert du chômage vers les CPAS, une réforme encore nimbée d'incertitudes.
Concernant les CPAS, le comité de monitoring a fait part de l’incertitude budgétaire concernant les compensations que le Fédéral va devoir débourser. Il parle d'un montant oscillant entre 72 et 470 millions d’euros. Pourquoi une telle incertitude?
En 2026, on a prévu un budget de 300 millions d’euros. Il sera de 342 millions en 2029. Et si le coût est plus élevé, on paiera la différence. On est partis de l’idée qu’un tiers des chômeurs exclus pourrait obtenir un revenu d’intégration via le CPAS. Pour être claire: celui qui perd son allocation de chômage n’obtient pas automatiquement un revenu d’intégration. Des conditions strictes y sont attachées.
Mais ce qui m’étonne dans tout ce débat, c’est que le travail est vu comme une punition. J’étais présente aux Fêtes de Wallonie à Namur et je suis d’accord avec ce qu’a dit le ministre-président Adrien Dolimont: cette réforme ne vise pas à exclure mais à inclure les gens. Le travail, c’est une chance pour se déployer, développer des relations sociales, être indépendant. Je refuse de penser qu’une personne qui ira vers le CPAS ne pourra pas être remise à l’emploi.
La situation du marché de l’emploi est diff érente en Wallonie et à Bruxelles, par rapport à la Flandre. Vous comprenez cette inquiétude ou vous parait-elle démesurée?
Cela doit être vu comme une chance plutôt qu’un danger. Un taux de chômage plus élevé, ça signifi e qu’il y a plus de possibilités de progresser en Wallonie et à Bruxelles qu’en Flandre. Le taux d’emploi en Flandre est de près de 77% et on veut arriver à 80%, tandis qu’il est de 68% en Wallonie et de 65% à Bruxelles. Il y a donc beaucoup de possibilités pour avancer.
Vous pouvez rassurer les CPAS wallons et bruxellois: ils ne vont pas être submergés de chômeurs exclus?
Personne n’a de boule de cristal. Mais la compensation prévue prend en compte les soucis éventuels sur le plan budgétaire. Et concernant le personnel des CPAS, nous avons doublé les montants alloués pour les frais de dossiers et les entités fédérées ont reçu la compétence pour déterminer quels diplômes sont requis pour être un travailleur social. On sait aussi que 20% des dossiers traités par le personnel des CPAS ne relèvent pas del eur mission, mais concernent des prépaiements d’allocations de chômage ou d’indemnités maladie. Je travaille avec les ministres Vandenbroucke et Clarinval pour que ce ne soit plus le cas à l’avenir.